
Bonjour à tout.e.s,
Les vélos étant au chaud depuis une semaine, notre quotidien est redevenu celui de 4 jeunes citadins : boire des bières entre amis. Évidemment, nous profitons de la beauté d’Istanbul au-delà de ses bars… Mais je doute que raconter nos visites de divers bazars et mosquées ne vous passionne. De nombreux reportages le feront surement mieux que moi. C’est pourquoi cette semaine j’ai décidé de vous parler de voyage et d’amitié.
Le voyage.
Après 280 heures et presque 4500km, nous voilà à la fin de cette première grande étape du voyage. 110 jours après le départ, nous sommes arrivés à Istanbul. Nous avons d’ores et déjà vécu une aventure extraordinaire.
Mais voilà, il y a 7 semaines je publiais mon article en décrivant notre arrivée à Athènes. J’avais beaucoup d’espoir concernant le cargo en direction de l’Asie du Sud-Est. Mais tout ne se passe pas toujours comme prévu, surtout ces derniers temps. L’échec auquel nous avons dû faire face n’a pas été facile à accepter, pour moi en particulier. En effet, j’ai pendant longtemps cru que la persévérance et le travail pourrait suffire. Jusqu'à présent c'était le cas : nos études, nos hobbies, ce projet, tout le prouvait. Mais là, c’est plus grand que nous. Il faut l’accepter ou bien resté frustré. Frustré, je l’ai été jusqu’au départ d’Athènes. Le peu de nouvelles que nous avons données dans les semaines qui ont suivi est un signe de notre/ma déception.
Il me semblait nécessaire de faire ce petit flashback pour bien rendre compte du contexte dans lequel on a évolué durant ces 7 longues semaines : un peu perdus, un peu déçus et toujours dans l’attente. Les conséquences du Covid finalement. Lui qu’on pensait pourtant avoir évité, nous touche de plein fouet. Notre jeunesse et notre insouciance n’ont pas compensé cette fois-ci.
Mais « après la pluie, vient le beau temps » !
Tourner la page sur l’Asie du Sud-Est c’est surtout en ouvrir une autre sur le Proche-Orient. Donc une fois nos espoirs de bateau envolés, il ne reste plus qu’à avancer. Ainsi, chaque petite surprise se transforme en grand bonheur : les sources de Thermopyles, un Noël au Météores, un nouvel-an à Thessalonique… Rien de tout cela n’était prévu, et c’est justement ce qui a rendu ces moments uniques. Improviser est devenu le maitre-mot.
Mais de nature plutôt cartésienne, faire ce constat-là n’a vraiment pas été simple pour moi.
Puis est venu l’hiver. Le vrai. 2°C la journée, -5°C la nuit, du vent, de la pluie, de la neige. Mais dans ces conditions, mon « moi » d’avant n’aurait jamais abandonné. Pas si près du but, c’est trop dommage. 300km après 4500, ce n’est rien… Mais je crois que je ne suis plus mon "moi" d’avant.
La question se pose : est-ce de la persévérance ou de l’acharnement ? De la paresse ou de la lucidité ? La limite est fine et personne ne le saura jamais.
Ainsi, on s’est retrouvés à Istanbul. Et depuis, j’ai l’impression que le voyage a pris une tout autre dimension. Nous avons quitté l’Europe, l’Euro, Schengen. Tout notre confort et nos certitudes d’européens sont remis à zéro. Finis les gentils policiers qui nous offrent à manger parce qu’on est français. Nous sommes maintenant des occidentaux dans un pays majoritairement musulman. La langue, la nourriture, les expressions, les traditions, tous les détails du quotidien nous rappellent que nous ne sommes plus en Europe.
Venus à vélos ou non, on est comme tous les autres touristes : avant tout des consommateurs.
4 jeunes hommes dans un métropole de plus de 20 millions d’habitants. On a perdu notre singularité dès lors qu’on a posé nos vélos. On est redevenus invisibles, noyés dans la masse.
Je n’émets aucun jugement sur tout cela, ce ne sont que des faits. Il y a de bons et de mauvais aspects.
Nous sommes bienvenus, mais pas chez nous.
L’amitié.
On s’est rencontrés il y plus de deux ans et on a vécu très rapprochés. Aujourd’hui, on est 4 très bons amis. Même état d’esprit, même valeurs. Mais aussi même ami.e.s, même école, même goûts, même hobbies et surtout : même projet. Or quand on est trop pareils les uns des autres, on oublie qui on est vraiment. On s’efface derrière le groupe. Ou alors le groupe nous efface. C’est une question de point de vue. Dans tous les cas : on est devenus « Pékin Sans Stress ». Plus vraiment de Elliott ou bien Senghor mais surtout « des gars de PSS ».
On s’aime, on se respecte et on s’entraide.
Mais (parce qu’il y a toujours un « mais »), on a aussi besoin d’air. Comme dans un couple, des fois on a besoin d’un break. Pour réapprendre à se manquer. Pour retrouver son indépendance. Finalement, pour se retrouver soi-même.
C’est pourquoi nous avons décidé de nous séparer pour les prochaines semaines. On ne sait pas encore combien exactement.
Ce qui est certain, c’est qu’après 4 mois de voyage, on a construit une relation unique. Pas parfaite mais unique.
C’est bien parce qu’elle n’est pas parfaite, qu’on doit tout faire pour l’améliorer. Et ça commence par la communication.
Si je dis tout ça aujourd’hui, c’est parce qu’on aurait pu se séparer. Pour de bon je veux dire. En effet, nos petits défauts du quotidien ont pris le dessus sur notre envie de construire un futur commun. Au fil des jours et sans s’en rendre compte, on s’est abimés les uns les autres. On a perdu notre bienveillance, notre patience et notre amitié.
Un des risques du voyage entre amis, c’est aussi de perdre ses amis. On nous l’avait dit, on y a fait attention et pourtant, on a failli se faire avoir.
Finalement, on est passé au-delà. On a discuté, pour cracher le venin qui nous faisait du mal à tous. Ce venin c’est les non-dits, les interprétations, les petites blagues du quotidien… On a parlé durant plusieurs heures. Calmement, en s'écoutant. On a pris les choses dans l'ordre : qu'es-ce qui ne va pas ? Qu'est-ce qui pourrait s'améliorer ? Comment pourrait-on l'améliorer ?
Des choses simples, presque évidentes mais que l'on n'a pas fait durant plusieurs semaines. Or la cohésion dans le groupe représente 90% de l'énergie que nous avons. Si le groupe va mal, les individualités vont mal. Chaque obstacle semble d'une grande difficulté. Un petit problème technique, un spot de camping décevant, une mauvaise météo... Tout prend une ampleur démesurée. En fait, c'est souvent l'arbre qui cache la forêt. Le problème est plus profond.
Dans la vie "normale" que l'on menait avant, on pouvait plus facilement trouver un exutoire. Mais là, difficile d'aller voir nos proches, d'aller au cinéma ou de faire plus de sport. On est loin souvent loin de tout et de tout le monde. Isolés aussi via le langage. On se contente de se faire comprendre pour boire, manger et camper mais difficile de créer de vraies nouvelles relations. Tout notre quotidien est tourné vers le groupe. On mange Pékin Sans Stress, on dort Pékin Sans Stress, on roule avec Pékin Sans Stress.
Dans ce cadre-là, impossible de cacher le problème très longtemps : on était obligés d'affronter le problème directement.
Et donc maintenant : Est-ce qu’on s’aime toujours ? Est-ce qu’on se respecte toujours ? Est-ce qu’on s’entraide toujours ?
Aujourd’hui, on y croit. On l’a fait à un moment donc pourquoi ce ne serait pas possible à nouveau ?
Ce voyage, qui d’apparence semble être « un petit tour de vélo entre copains » est en fait l’épreuve la plus forte de l’amitié. Jamais auparavant je n’ai ressenti de tels émotions et je doute de les revivre à l’avenir.
Et donc, concrètement, où en sommes-nous ?
Richard et Rannou sont partis pour 10 jours à Fethiye (dans le sud de la Turquie) pour travailler dans une ferme. Senghor est parti pour une durée indéterminée dans le Nord-Est du pays, avec Lucien et Silouane, 2 français en voyage pour un an (avec un projet très similaire au notre !). Ils prévoient d’aider dans la ferme d’une connaissance. De mon côté, je reste à Istanbul jusqu’à la fin du mois de janvier. J’ai la chance de retrouver mes parents pour la semaine avant de partir à Antalya, pour effectuer une mission de WorkAway.
Nous aimerions également aller en Iran pour faire ce genre de mission. Mais la situation sanitaire changeante et la complexité des démarches de visa ne nous aide pas à y voir clair.
Une chose est certaine : nous ne reprendrons pas les vélos avant le début du printemps.
Nos chemins se séparent donc quelques temps, afin de mieux se retrouver. Un fois l’hiver terminé et les beaux jours revenus, j’espère rédiger un hymne à l’amitié.
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Je tiens à rassurer nos lecteur.trice.s inquiet.e.s, le plus dur est derrière nous désormais. Nous sommes toujours extrêmement fiers de notre voyage et comptons bien aller au bout, tous ensemble. De magnifiques perspectives nous attendent et on a déjà hâte de vous les faire partager.
De plus, certains faits ont été un peu modifiés ou occultés. Pour la profondeur du discours, pour garder une forme d'anonymat et pour permettre à nos lecteur.trice.s de se reconnaitre dans notre histoire. Nous ne souhaitons donner de leçon à personne mais tenons à être les plus honnêtes possible. Donc non, le voyage (à vélo) n'est pas rigolo tous les jours. Par contre, c'est sans stress :)
Avouer nos difficultés et nos erreurs est une manière de grandir, d'apprendre, de voyager. C'est aussi une preuve de notre confiance envers vous. Finalement, c'est être honnête envers nous et envers vous.
J'espère sincèrement que ces quelques lignes vous auront touchés.
Merci pour votre soutien au quotidien !
Emilien
PS : Bisous à Giudita, Milan, Violette, Manon, Baptiste, Anaïs, Yasuhiro, Kei, Shabnam, Lucien et Silouane (et désolé à celles.eux que j'ai oublié). On a passé une incroyable semaine en votre compagnie.
Après tout, ce n’est pas la destination finale qui est importante - mais le voyage ! alors bonne suite de voyage. Tant pis pour Pekin…. Et tant que c’est sans Stress, tout va bien :-)